Commémoration des 70 ans de l’épopée</strong> <strong>du Régiment de Chasse Normandie-Niémen 1945-2015 (Nice, octobre 2015)
Commémoration des 70 ans de l’épopée du Régiment de Chasse Normandie-Niémen 1945-2015 (Nice, octobre 2015)

En 2015 à Nice dans le cadre de la commémoration des 70 ans de la victoire, la Mairie de Nice, avec le concours de l’Ambassade de la Fédération de la Russie en France,  la délégation militaire départementale des Alpes-Maritimes, le Régiment de chasse 2/30 «Normandie-Niémen» de Mont Marsan, le Musée de l’Air et de l’Espace du Bourget, le Mémorial «Normandie-Niémen» a organisé les manifestations dédiées à la commémoration de l’épopée des chasseurs français de «Normandie-Niémen» sur le front de l’Est. Le 5 octobre, la ville de Nice a inauguré la nouvelle stèle bilingue franco-russe en l’honneur du général Louis Delfino, l’exposition extérieure dans le jardin baptisé Normandie-Niémen et l’exposition  «Commémoration des 70 ans du Régiment de chasse  «Normandie-Niémen» et hommage au général Louis Delfino». Le cycle de conférences et des projections cinématographiques a eu lieu du 17 au 25 octobre à la Cinémathèque et à l’Amphithéâtre de l’espace association Garibaldi à Nice. Les conférénces, ouvertes à tout public, ont été données sur les sujets suivants : «Le retour de l’escadrille en France – accueil au Bourget et à Nice» (par J.-L. Panicacci, maître de conférénces honoraire à l’Universié Nice Sophia Antipolis), «Normandie- Niémen et lе Général Delfino» (par J.-M. Giaume, conseiller métropolitain, délégué à l’Histoire et à la Transmission de la Mémoire), «Le rôle historique de «Normandie-Niémen» (par N. Naumova, maître de conférénces de l’Université d’Etat de Moscou Lomonossov), «L’escadrille «Normandie-Niémen» dans la mémoire collective des Russes» (par V. Sergienko maître de conférénces de l’Université d’Etat de Moscou Lomonossov).

Pour les niçois cette commémoration a un sens particulier car l’un des leurs, Louis Delfino, se porte volontaire en janvier 1944 pour le front oriental afin de rejoindre le déjà célèbre régiment de chasse «Normandie» dont il prend le commandement cinq mois plus tard. Avant son arrivée en terre soviétique, Louis Delfino, né à Nice le 5 octobre 1912,  s’engage dans l’aviation en 1933 et entame une brillante carrière militaire. Après la bataille de France pendant laquelle il descend 8 avions ennemis, il rejoint le front de l’Est où il abat 8 avions allemands. Les autorités soviétiques, reconnaissantes, lui remettent l’ordre du Drapeau Rouge, l’Ordre de la Guerre pour le Salut et la Patrie, la Médaille de la Victoire. Louis Delfino termine la guerre avec 20 victoires aériennes dont 16 homologuées, ce qui le place au cinquième rang au palmarès des «As» de l’aviation de chasse française. En avril 1945 il reçoit le grade de lieutenant-colonel, deux mois plus tard avec ses compagnons de guerre il regagne la France à la tête du régiment qui porte désormais le nom «Normandie-Niémen».  Dans les années après guerre Louis Delfino occupe de hautes fonctions militaires. En 1961 il est promu au grade de général de Division Aérienne, en 1964 il est nommé inspecteur général de l’Armée de l’Air, il reçoit la même année le grand-croix de la Légion d’honneur[1].

Après les conférénces Natalia Naumova et Vladislava Sergienko, ont eu l’occasion de poser quelques questions aux filles du général Louis Delfino, Catherine Delfino (62 ans) et Nathalie Delfino-Parodi (65 ans) qui ont pris une part très active dans toutes les manifestations et ont gentiment accordé de leur temps.

Quelles difficultés les pilotes français  ont-ils rencontré après leur arivée en URSS et comment s’est passé le premier contact avec les russes ?

Catherine Delfino. Ce qui était difficile c’était principalement la barrière de la langue, et ensuite le climat. Après Dakar et l’Afrique du Nord, le climat était rude pour eux. Dans le film on les voit débarquer dans leur tenue des aviateurs français. En les voyant,  les russes  les ont  immédiatement équipés de tenues adéquates : veste en cuir, bottes fourrées et chapkas. Et puis les conditions de vie n’étaient pas faciles non plus. Papa a raconté que la première nuit qu’il a passée  après son arrivée, il s’est reveillé  parce qu’il y avait des punaises dans son lit. Lui, il pensait que c’était juste son lit qui était infesté mais c’était la même chose pour tout le monde. 

Y avaient-ils les discussions  sur des sujets politiques ou idéologiques entre les pilotes français et les russes ? Croyez-vous que votre père ressentait un clivage idéologique ou politique lors de sa mission ?

Catherine Delfino. Je pense que non. Les pilotes français étaient partis se battre sur la terre soviétique en toute connaissance de cause. Ils étaient tout d’abord des campagnons d’armes qui avaient un ennemi commun, Hitler. Tous ces problèmes-là  étaient postérieurs mais au moment de la guerre cela n’a jamais était question, à aucun niveau. Ils avaient tellement de difficultés quotidiennes, ils perdaient tellement d’hommes, tellement d’avions, la vie était tellement dure pour eux que je crois qu’ils n’avaient pas le temps pour parler politique.

Nathalie Delfino-Parodi. Les français et les russes étaient avant tout des hommes d’honneur qui remplissaient leur mission. Ils avaient le but suprême d’abattre le régime nazi et cela nécessitait pas la moindre discussion. En plus, les français et les russes avaient l’intention d’occulter les différences pour retrouver les sentiments d’une amitié profonde et d’éviter ce genre de conflit.

Je pense que les relations étaient de l’homme à l’homme, au-delà de tous les clivages politiques et idéologiques. L’épisode de Normandie-Niémen est extraordinaire et unique car il dépasse tous les clivages et montre des liens forts entre les deux peuples qui ont une grande histoire et qui sont liés par une littérature universellement reconnue : les russes cultivés parlaient le français depuis le XVIII-e siècle. Catherine II de Russie correspondait avec Diderot et Voltaire. 

Comment les pilotes français, passaient-ils leur temps libre, en dehors de leur mission ?

Nathalie Delfino-Parodi. Mon père disait que dans les moments de repos en attendant le ciel dégagé pour partir en mission il jouait au poker afin de  s’occuper l’esprit pour oublier un peu la réalité.

Quelle chose ou quel événement a produit l’impression la plus forte sur votre père durant sa mission ? Qu’est ce qu’il a marqué le plus ?

Catherine Delfino. La mort de Maurice de Seynes[2], bien sûr ! Ce qui l’a marqué le plus c’est de voir les femmes pilotes qui vivaient, elles aussi, dans les conditions abonimables et puis il était très admiratif de cet espèce de l’effort collectif du peuple russe qui a du passer par de rudes épreuves. Vous savez, les conditions de vie en France et en URSS n’étaient pas les mêmes, au niveau de la vie quotidienne, de l’alimentation c’était plus dure.  Mon père éprouvait une profonde admiration envers cette solidarité du peuple russe qui étaient tous soudés contre leur ennemi et qui a fait des énormes sacrifices.

Nathalie Delfino-Parodi. Oui, la grande surprise c’était les femmes pilotes et mon père était  très etonné de les voir. Pour mon père, qui était très attaché aux valeurs républicaines, c’était le témoignage important d’un système égalitaire en place où chacun peut avoir l’accès à tous les emplois et être jugé d’après ses talents et ses mérites. 

Mon père éprouvait une grande gratitude vis à vis des russes qui se privaient de tout pour que les pilotes français mangent à leur faim. C’est ce côté sacrificiel des russes qu’il a beaucoup apprécié. Comme Catherine l’a déjà dit, ce n’était pas pareil en France et en URSS. Dans les deux pays il y avait une pénurie alimentaire  sauf qu’en France des petits paysans pouvaient adoucir le quotidien et les conditions n’étaient pas comparables. On sait que la famine en URSS a été exceptionnellement éprouvante.

Il y avait quelquechose que votre père n’a pas aimé lors de sa mission en terre soviétique ?

Catherine Delfino. Lui non mais les autres pilotes de Normandie-Niémen,  avec lesquels j’ai parlé, n’ont pas du tout apprécié cet espèce de céréale, comment s’appelle ce plat ?

Kacha ?

Catherine Delfino. Voilà, kacha, ils disaient que cela n’était pas terrible. Mais après tout, ils savaient très bien que c’était difficile de s’alimenter et ils se contentaient de manger ce qu’ils avaient.

Est-ce que votre père vous a parlé des relations entre les pilotes français et les mécaniciens soviétiques ?  

Catherine Delfino. Bien sûr.   A mon avis, les mécaniciens, eux,avaient une place à part. Ils faisaient vivre les avions et ils devaient travailler dans les conditions extremement difficiles. L’un des mécaniciens m’a raconté, longtemps après, qu’il gardait les vis dans la bouche pour pouvoir s’en servir, sinon le gel les fasaient coller, métal contre métal. Les pilotes français avaient un respect envers les mécaniciens. 

Nathalie Delfino-Parodi. Je voudrais attirer votre attention sur un fait important: beaucoup de mécaniciens en URSS à cette époque étaient des minorités ethniques. Et mon père le voyait comme une autre preuve de l’existence de cet égalitarisme auquel, profondement républicain, il était très attaché, car cela ressemblait beaucoup à l’idéal français de  la Révolution française : liberté, égalité fraternité. 

Le général Delfino est-il retourné en URSS après la guerre ?

Nathalie Delfino-Parodi. Dans les années 1960, de par ses hautes fonctions dans l’Armée française il y est allé souvent, environ, tous les deux ans.

Catherine Delfino. Oui, il y est retourné régulièrement, presque tous les deux ans, pour des voyages officiels souvent liés au «Normandie-Niémen».

Etait-il bien accueilli ?

Nathalie Delfino-Parodi. Mon père était plus valorisé en URSS qu’en France, car à un certain moment à cause de la guerre froide de Gaulle ne mettait pas en avant l’épopée «Normandie-Niémen», car il était diplomatiquement en lien avec les Etats-Unis.

Je vais vous raconter une histoire qui résume les relations entre les deux pays. Mon père avait l’habitude quand il partait à l’étranger de  nous écrire des cartes postales. Etant en URSS il a rédigé une carte mais il n’avait pas le temps pour aller chercher le timbre et le dernier jour il ne savait pas comment faire il voulait absolument que la lettre parte avec un timbre russe. Il se rend à une céremonie officielle et avant d’entrer dans le batiment il voit une petite fille russe, de 7-8 ans. Il lui parle  de la carte et lui demande si elle peut lui rendre service et acheter le timbre, en lui tendant de l’argent. La fille, qui avait recconu l’insigne du Normandie-Niemén sur son uniforme, lui répond : «Сomme tu es pilote du «Normandie-Niémen»,  non seulement  je vais le faire mais je refuse ton argent». Mon père était embarassé, mais la fille a insisté : «Jamais je te demanderais de l’argent, cela serait une honte si je ne pouvais pas te rendre ce service». En rentrant mon père nous a raconté cette histoire mais comme à l’époque c’était compliqué pour la fille de 8 ans d’acheter un timbre, il croyait que sa carte n’allait jamais arriver. On a pleuré tous quand on l’a reçue deux mois plus tard, c’était très touchant !

Cette histoire montre la reconnaissance du peuple russe envers les pilotes français du «Normandie-Niémen». Et ce qui était quand même extraordinaire, c’est qu’une petite russe juste après la guerre connaissait l’histoire du «Normandie-Niémen». 

Avait-vous l’impression que les français à cette époque connaissaient aussi bien l’histoire du «Normandie-Niémen» ?

Nathalie Delfino-Parodi. Zakharov[3] écrit dans ses mémoires qu’à l’inverse des russes les français ne savaient rien sur «Normandie-Niémen». Il s’en rendu compte quand il est venu à Paris pour participer avec mon père et d’autres pilotes du «Normandie-Niémen» dans  l’émission Les dossiers de l’Ecran en 1968. Il a de même remarqué une autre différence par rapport  à l’Union Soviétique. Lors de l’émission les téléspectateurs français avaient la possibilité de poser les questions en direct à tous les participants et Zakharov a vu que ces questions n’étaient pas filtrées.

Y avait-il des échanges entre votre père et des pilotes ou mécaniciens soviétiques après la guerre ?

Catherine Delfino. Oui, tout à fait, mon père était très ami avec Agavelian[4]. Et je me souviens bien de lui, c’était un vieux monsieur, délicieux, tous les ans il m’envoyait des lettres en français dans lesquelles il me racontait des histoire drôles. Pour moi c’était vraiment comme un proche et chaque fois il venait en France, on le voyait.  Avec Zakharov ils ont participé souvent aux cérémonies de commémoration.

Nathalie Delfino-Parodi. Mon père éprouvait un grand respect envers Zakharov et avec Agavelian il se sentait proche par leurs origines. Agavelian était d’une minorité ethnique et papa aussi, en quelque sorte. Quand il est venu pour faire ses études à Paris avec son nom d’origine italienne il n’était pas pris au sérieux.

Est-ce que vous étiez en contact avec les russes dans les années après guerre ?

Nathalie Delfino-Parodi. Oui,  tous les ans  on recevait des cartes postales, des lettres, surtout des voeux pour le Nouvel An. Comme on était petites, nos parents insistaient pour que nous répondions.

Peut-on dire que les liens d’amitié avec les russes ont eu un impact sur vous ?

Catherine Delfino. On avait une sorte d’admiration envers la culture russe et on peut dire qu’elle faisait partie de notre culture familiale. On connaissait bien tous les grands écrivains et les musiciens russes. On est allé voir le film Guerre et Paix de Serguei Bondartchouk dans le cinéma Kino Panorama à Paris et c’est inoubliable. Je me souviens surtout de la scène de bal qui était extraordinaire, parce que projetée sur trois ecrans. Pour nous c’était une fête, et ensuite on en a beaucoup parlé. Mais en même temps et à cette époque de la guerre froide, je ne pense pas que les autres familles françaises aient eu le même intérêt pour la littérature ou le cinéma russe.

Nathalie Delfino-Parodi. Je peux dire que pour nous et pour d’autres enfants du «Normandie-Niemén» ces relations avec les russes c’etaient une sorte de lien gardé secret.  On n’en parlait pas car on savait que personne ne pouvait le comprendre. N’oubliez pas que c’était la période de la guerre froide, il y avait une propagande de part et d’autres et les français avaient peur de l’idéologie communiste. 

Vous avez participé souvent à des cérémonies de commémoration de «Normandie-Niémen» ?

Catherine Delfino. Oui, si vous voulez pour nous  c’était une partie de notre vie normale,  j’étais petite mais quand j’y étais j’avais un sentiment de fierté par rapport à mon père. Pour moi c’est un personnage hors du commun. 

Comment voyez-vous l’URSS dans les années 1960, à l’époque de la guerre froide, dans ce climat idélogique est-ce que c’était un ennemi pour vous ?

Catherine Delfino. Certainement pas. Pour nous cela a toujours été un peuple ami.

Nathalie Delfino-Parodi. Nous avions les relations extraordinaires avec les russes malgré le rideau de fer et on peut voir cela comme un miracle, l’histoire du «Normandie-Niémen» était au-delà de la guerre froide.

Avez-vous l’impression qu’à  l’heure actuelle on se souvient moins du régiment de chasse «Normandie-Niémen» ?

Catherine Delfino. Après  la guerre il y avait une période d’oubli, jusqu’à ce que Chirac inaugure la plaque du «Normandie-Niémen» au musée Le Bourget  à Paris.

Croyez-vous qu’à l’heure actuelle les français se rendent compte de la contribution de l’URSS dans la victoire sur le régime nazi ?

Catherine Delfino. Oui, certainement. On reconnaît cet énorme effort du peuple russe qui a beaucoup donné pour cette  victoire. N’oublions pas les 20 millions de morts du côté soviétique.

Les commémorations de «Normandie-Niémen», organisées par la ville de Nice en 2015, ont été importantes pour vous ?

Catherine Delfino.  Oui, bien sûr. On apprécie beaucoup tout ce que la ville de Nice a fait pour l’un de ses enfants. J’aimerais que les gens se souviennent de «Normandie-Niémen» et de son dernier commandant et que cette histoire ne tombe jamais dans l’oubli. Je reçois beaucoup de mails et je vois qu’il y a beaucoup de gens qui s’intéressent au «Normandie-Niémen» et je crois que cette commémoration était instructive pour les niçois.

Catherine, en novembre 2014 vous avez visité l’école 712 à Moscou[5]. Pourriez-vous, s’il vous plait,  parler de cette visite ?

Catherine Delfino. A l’école 712 on a visité le musée du «Normandie-Niémen», la visite a été organisée par les élèves de l’école. On a constaté que les enfants parlaient bien le français. Nous avons été extremement bien accueillis  et  cela a été un grand moment d’émotion. 



[1] http://www.cieldegloire.com/004_delfino.php,  Ch-J. Ehrengardt, Normandie-Niémen, édition Heimdal,  1989.

[2] Aviateur français, affecté en janvier 1944 au régiment de chasse «Normandie-Niémen», mort en juillet 1944 à la suite d’une fuite d’essence dans la cabine, après avoir refusé de quitter l’appareil par solidarité avec son mécanicien Vladimir Bielozub qui était à bord de l’avion mais ne disposait pas d’un parachute.

[3] Le général N.G. Zakharov, le commandant de la 303-e division aérienne de chasse à laquelle «Normandie» était rattaché pendant toute la durée de la guerre.

[4] L’ingénieur-capitaine S. D. Agavelian, en tête des mécaniciens soviétiques qui ont remplacé les français en août 1944.

[5] Le maire de Nice, Ch. Estrosi, et sa délégation en voyage en Russie  ont été accueillis à Moscou  du 11 au 15 novembre 2014. Catherine Delfino et J.-M. Giaume, conseiller métropolitain, ont visité l’école 712 à Moscou qui se consacre au souvenir du «Normandie-Niémen».  Ils ont déposé dans le vaste musée de l’école les épaulettes de la grande tenue du général Delfino.





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