Le rôle historique de Normandie-Niemen
La naissance et l'activité de l'escadrille française "Normandie" sont liées au nom du général de brigade Ch. de Gaulle, fondateur et chef de l'organisation patriotique antifasciste "France libre".
En juin 1940 la France fut vaincue par les troupes allemandes, et les partisans d'un armistice avec Hitler ayant à leur tête le maréchal Pétain signèrent le 22 juin une capitulation honteuse. La France fut divisée en deux zones. La zone nord (60% du territoire en incluant Paris) se retrouva sous occupation allemande. Dans la zone "libre" au sud s'établit le régime de Vichy avec à sa tête Pétain, qui désarma les forces françaises en ne conservant qu'une "armée d'armistice". Il conserva dans "sa" France la flotte, qui, il est vrai, fut désarmée également, et aussi les colonies françaises, en pratiquant une politique pro-allemande imposée par le Troisième Reich.
Cependant dans cette tragique situation se retrouvèrent nombre de soldats et d'officiers qui refusaient la défaite et étaient désireux de se battre. Après l'armistice, de nombreux aviateurs français restèrent dans leurs unités, qui étaient placées sous l'autorité du gouvernement de Pétain. Mais, s'étant convaincus que ce qui restait de l'aviation française commençait à alimenter la machine de guerre allemande, ils furent nombreux à refuser de servir celui qui avait trahi le peuple français.
C'est le général de Gaulle qui se fit l'interprète de leurs espérances. Celui-ci avant l'armistice du 22 juin occupait le poste de secrétaire d'Etat à la guerre dans le gouvernement de P.Reynaud. A l'invitation du Premier Ministre britannique W.Churchill, le 17 juin 1940, aussitôt après la démission de P.Reynaud et l'arrivée au pouvoir de Pétain, De Gaulle partit pour Londres et dans son célèbre discours du 18 juin appela ses compatriotes, où qu'ils fussent, à continuer la lutte et la résistance à l'envahisseur. "La France a perdu une bataille, mais n'a pas perdu la guerre", proclama-t-il.
Ainsi, les premières années d'occupation (1940-42) virent-elles l'existence de " deux Frances". D'une part une France collaborationniste, antidémocratique, menant une politique pro-nazie, celle de Pétain. D'autre part, avec l'aide du gouvernement de Londres et sous la direction de De Gaulle fut fondée l'organisation de la "France libre" (à partir de 1942 "France combattante"), où entrèrent des patriotes français désireux de poursuivre la lutte armée contre l'Allemagne nazie. Les "Français libres" étaient de tous âges, de toutes professions et d'opinions politiques diverses. Ce qui les réunissait était l'aspiration commune à libérer la Patrie et à lui rendre son prestige international. Au sein de la France libre se formèrent les "Forces françaises libres". Dans un premier temps l'ossature était composée de 1300 hommes issus du corps expéditionnaire de Norvège ainsi que de la Légion étrangère. Le chef de la France libre, le général De Gaulle, s'efforça d'en faire la représentante des intérêts du peuple français, non seulement une formation armée, mais aussi une structure politique, noyau du futur gouvernement de la France libérée. Pour cela il lui fallait le soutien de la Résistance intérieure, où se trouvaient représentées diverses forces politiques -communistes, socialistes, de la droite modérée, et issues de l'Empire colonial français. Le but essentiel des efforts diplomatiques de De Gaulle - lequel militait pour une participation active de la France combattante à la guerre contre l'Allemagne - portait sur la reconnaissance "de jure", de la part des Alliés de la coalition anti-hitlérienne, des forces de la Résistance intérieure et extérieure placées sous son autorité.
Au départ la France libre ne fut reconnue que par Londres et le Commonwealth, tandis qu'à Moscou et à Washington les ambassadeurs du régime de Vichy étaient maintenus en poste. Après le 22 juin 1941 l'attitude de Moscou envers De Gaulle changea radicalement. Le 27 juin l'Union soviétique reconnut le général en tant que "chef de tous les Français libres", où qu'ils fussent, et exprima sa résolution de lui accorder son aide. A Moscou fut nommé un représentant du Comité national de la France libre. En septembre l'ambassadeur de Vichy fut remercié, tandis que son attaché militaire, le colonel Charles Ligué, se ralliait à De Gaulle.
La reconnaissance par l'URSS du document rédigé par le Comité national de la France libre, à l'été 1942, définissant le statut international de la France combattante, renforça les relations franco-soviétiques. L' essentiel de ce document portait sur le fait que seul le Comité national devait disposer du droit d'organiser la participation des Français à la guerre et de représenter auprès des alliés les intérêts de la France, surtout dans la mesure où ces intérêts découlaient de la conduite des hostilités.
Avant même cette circonstance, le chef d'Etat-major de la France libre, le général Martial Valène avait proposé d'envoyer sur le front russe un détachement d'aviateurs français. De Gaulle avait accueilli l'idée favorablement, et qui plus est, s'était même prononcé pour l'envoi en URSS d'une division d'infanterie. "La France combattante souhaite être présente partout où il s'agit de combattre l'ennemi commun", selon les propres termes du Général. Des négociations furent engagées à ce sujet avec des diplomates soviétiques à Londres. Pour de multiples raisons elles furent longues et difficiles. Pour Staline cette décision avait une grande importance politique :celui-ci espérait que le Général exercerait une pression sur les Alliés en vue de l'ouverture d'un second front en France. Pour De Gaulle, il s'agissait de s'assurer du soutien du Parti communiste français, qui participait activement à la Résistance en métropole. Le Général voulait en outre que l'URSS le reconnût en tant que chef de la France libre - ce qui advint à l'été de 1942.
La création d'une escadrille française ne fut pas vue d'un très bon œil par le gouvernement britannique, inquiet du rapprochement de l'URSS avec la France de De Gaulle. De plus, c'est l'Angleterre qui finançait la formation des aviateurs de la France libre, et Churchill refusait de priver le Front occidental de pilotes confirmés.
Au cours des pourparlers le projet d'une division française sur le Front russe fut rejetée par le Commandement soviétique. En ce qui concerne l'escadrille, les parties discutèrent longuement de divers points. Ainsi, par exemple, la proposition de frapper les avions du sigle français des Forces aériennes. Le problème était que ce sigle représentait un cercle blanc avec la croix de Lorraine; or pour les forces anti-aériennes soviétiques toute croix représentait un symbole hitlérien. En fin de compte on décida de marquer les avions de l'escadrille d'un cercle aux couleurs du drapeau français à proximité de la cabine de pilotage, avec le nez de l'avion portant les mêmes couleurs.
Comme les Français ne pouvaient fournir leurs propres uniformes, ils furent pourvus de l'équipement soviétique, avec l'autorisation de porter les insignes et décorations de l'aviation française.
Le 1er septembre 1942 le Général De Gaulle signa le décret portant sur la création du groupe de chasseurs indépendant n°3, qui reçut à la demande de ses membres le nom de "Normandie". C'était celui de la province française qui en 1940 avait plus que toute autre avait souffert de l'invasion allemande. "Que cette appellation, -
avait dit alors le commandant Tulasne , premier commandant de l'escadrille, - nous rappelle toujours les larmes de nos mères, les tourments et les souffrances de nos enfants. qu'elle emplisse nos cœurs de haine pour l'ennemi maudit, et résonne comme un constant appel à une lutte sans merci". La langue officielle de l'escadrille était le français, et c'est un officier français qui devait la commander. Les Français eux-mêmes choisirent aussi le signal radio “Raïak”. Un écusson rouge avec deux lions d'or et une flèche blanche en forme d'éclair devint l'emblème de l'escadrille. Cette flèche n'existe pas sur l'écusson de la province. Mais cet ajout définissait la mission des pilotes, à savoir anéantir les fascistes toujours et partout avec la force de l'éclair.
Le choix des équipages était de la responsabilité des commandants Joseph Pouliquen et Jean-Louis Tulasne, car ils avaient l'expérience des combats aériens sur les théâtres d'opérations aussi bien européens qu'africains. Le recrutement du personnel au sol et du personnel navigant s'effectuait exclusivement sur la base du volontariat. En septembre 1942 l'équipe était au complet. Elle était composée du commandant, de 14 aviateurs, 42 techniciens, d'un médecin, de deux interprètes et d'un agent de liaison. Dans le premier groupe de pilotes volontaires figurent :Marcel Lefèvre, Albert Durand, Marcel Albert, Albert Litolff, Albert Preziosi, Roland de la Poype, Noêl Castelain André Poznanski etc. L'escadrille était commandée par le commandant Tulasne, en remplacement de G.Pouliquen qui était tombé malade à son arrivée en URSS. Lors des vols d'essai s'était rouverte une ancienne blessure à la colonne vertébrale.
L'équipe au complet s'envola le 12 novembre 1942 de la base de Raïak située au Liban pour Bagdad. Ensuite par train et par camion elle gagna Téhéran le 18 novembre, où elle fut accueillie par les représentants de l'ambassade et l'attaché militaire soviétiques. Tous les pilotes et la majorité de l'équipe technique quittèrent Téhéran le 28 novembre sur des avions soviétiques à destination de l'URSS et le lendemain arrivèrent à la base aérienne d'Ivanovo. Pendant ce temps la mission militaire française, dirigée par le général de brigade Ernest Petit, était préoccupée par la suite des événements. Et le 4 décembre sur ordre de l'Etat -Major l'unité aérienne française, l'escadrille "Normandie", rejoignit l'ensemble des forces aériennes soviétiques.
A Ivanovo l'entraînement commença. Parmi les quelques types d'avions de chasse proposés, les pilotes de l'escadrille retinrent le Iak-1. D'après Litolff cet avion était proche en ce qui concerne le pilotage du Morane-Saulnier MS-406, mais disposait d'une gamme étendue de vitesses. La préparation au combat connut plusieurs étapes. Pour commencer, les Français se familiarisèrent au sol avec le" Iak", étudièrent le manuel de vol, puis effectuèrent une série de vols d'entraînement sur des avions UT-2. La formation était assurée par des officiers par le biais d'interprètes. Dans la seconde moitié du mois de décembre commencèrent des vols sur chasseurs Iak-7B, en même temps le personnel technique s'assurait la maîtrise des avions à leur réception.
Du 15 janvier au 14 mars 1943 les aviateurs étudièrent l'armement du Iak-1. Pendant leur formation l'escadrille effectua 536 sorties, pour une durée totale de 218 heures. Dans le document que signèrent le 21 mars le général Petit et le représentant des Forces armées aériennes de l'Armée Rouge le colonel S.T.Levandovitch il était écrit que "la vérification de l'aptitude opérationnelle de l'escadrille de la France combattante "Normandie" (son chef, le commandant Tulasne), a eu lieu sur l'aérodrome nord de, la ville d'Ivanovo. L'escadrille a fait preuve d'une parfaite maîtrise dans tous les domaines(vol en formation, pilotage à haute altitude, combat aérien, tir guidé), et par ses capacités et son moral est habilitée à être envoyée au front".
Naturellement pendant la période d'entraînement apparurent aussi les premières difficultés, liées à la langue, au climat rigoureux, à la nourriture. Ainsi par exemple les pilotes français détestaient la bouillie de sarrasin, qu'ils appelaient "de la nourriture pour oiseaux". Autre exemple: le climat. Les aviateurs qui avaient combattu en Afrique du Nord avaient du mal à s'habituer au froid de l'hiver russe. Pour les mécaniciens c'était encore plus compliqué: comment visser un boulon avec des moufles? En fin de compte, par un commun accord on décida de remplacer les mécanos français par des soviétiques. Des problèmes plus graves, toutefois, se firent jour: les pilotes ne savaient pas s'orienter dans la steppe enneigée. C'est à un autre type de guerre qu'ils étaient préparés. Selon le témoignage de A.Fetissov, président de l'Association des vétérans de "Normandie-Niemen", les aviateurs français, s'appuyant sur leur expérience des combats en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, voulaient mener des combats individuels. Cherchant le plus possible à être autonomes pendant un engagement, ils devenaient de la chair à canon pour les Allemands. En l'occurrence il était nécessaire d'adopter une tactique de combat de groupe en se couvrant mutuellement. Les Français devaient encore en faire l'apprentissage.
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Le 22 mars 1943 l'escadrille au nombre de 15 avions Iak-1 rejoignit le front occidental et se regroupa sur l'aérodrome appelé "Polotniani zavod" de la région de Kalouga. La ligne de front à cette époque passait à 150 kms à l'ouest de Moscou. L'arrivée des aviateurs français fut chaleureusement saluée par les pilotes et mécaniciens soviétiques, par le chef de la Première armée aérienne le général S.A.Khoudiakov et par le commandant de la division de chasse aérienne 303 le général G.N.Zakharov, au sein de laquelle l'escadrille, puis le régiment "Normandie" combattirent pendant toute la guerre.
Après quelques jours consacrés à des vols de reconnaissance dans une zone proche du front, le 26 mars l'escadrille au grand complet prit part à une opération de couverture d'avions soviétiques Pe-2, partis bombarder les positions de l'adversaire dans la région d'Orel. La mission fut un succès. Tous les avions et leurs équipages revinrent à leur base. Le lieutenant Albert Preziosi et l'aspirant Albert Durand remportèrent leurs premières victoires le 5avrl 1943 en abattant chacun un chasseur "Focke-Wulf-190. Mais le 13 avril 1943 l'escadrille "Normandie" subit ses premières pertes. Pendant une "chasse libre" au-dessus de Spass-Demenski furent abattus Yves Bizien, Raymond Derville et le benjamin de l'escadrille André Poznanski, âgé de 21 ans. Bizien périt lors de l'affrontement, tandis que Derville et Poznanski furent faits prisonniers et fusillés. En avril, lors de deux raids sur des aérodromes avec la participation de "Normandie", quelques "junkers" furent incendiés. Mais le lieutenant Yves Mahé fut porté disparu. Son avion fut touché par la DCA et il fut contraint à un atterrissage forcé en territoire ennemi.
Accompagnant les bombardiers ou les avions d'assaut, les "Normands" protégeaient toujours efficacement les chasseurs des attaques allemandes. Et bien que dans ces actions concertées on ne pût rien reprocher aux aviateurs français, on voyait bien qu'ils n'appréciaient guère ces "ébauches de mission", comme ils disaient. Il y avait quelque chose de figé dans de tels vols, il fallait longtemps différer le combat. Mais les Français avaient besoin de victoires personnelles, d'avions abattus, c'est pourquoi ils préféraient la "traque individuelle", la "chasse", ou à la rigueur couvrir les forces terrestres soviétiques.
A partir de mai 1943 le commandement soviétique interdit provisoirement aux Français de franchir la ligne de front. C'est que le gouvernement de Vichy avait condamné à mort par contumace les pilotes de "Normandie", et il n'était pas exclu que les Allemands, en cas de capture, pussent les livrer à leurs compatriotes. Heureusement le lieutenant Yves Mahé ne connut pas ce sort. Il se retrouva dans un camp près de Koenigsberg en compagnie d'aviateurs soviétiques, parmi eux le général Belichev et le Héros de l'URSS le capitaine G.B.Lepekhin, survécut à toutes les épreuves de la captivité et revint en France après la victoire.
En juin 1943 "Normandie" reçut le renfort de huit aviateurs. Le groupe était dirigé par le commandant P.Pouyade. Il était accompagné des lieutenants G.Léon, G de Tedesco, A.Boube, L.Barbier, des aspirants G.Mathis, A.Balcouet .Vermeil. On leur réserva un accueil chaleureux. La pause des opérations militaires dans la région de Koursk, qui avait duré plus de deux mois, toucha à sa fin. Au petit matin du 5 juin 1943 les troupes allemandes passèrent à l'offensive simultanément sur un axe Orel-Koursk et Belgorod-Koursk. Les aviateurs de la division aérienne 303 et de l'escadrille "Normandie" furent informés de son déclenchement au matin du 6 juin. L'interdiction de franchir la ligne de front fut levée. La division aérienne 303 et l'escadrille "Normandie" furent engagées dès le premier jour dans une dizaine de combats et détruisirent quelques avions ennemis.
Le 12 juillet démarra l'offensive stratégique d'Orel "Koutouzov", qui marquait le début de la grande bataille de Koursk. Les "Normands" se battirent vaillamment, mais connurent de lourdes pertes. Le 14 juillet G. de Tedesco ne revint pas. Le 16, ce fut le tour de Litolff, de Castelain, et de Vernavon. Le lendemain disparurent le commandant Tulasne et l'aviateur Vermeil. Le commandant Pouyade, qui était le plus âgé dans le grade le plus élevé, et que la veille Tulasne avait désigné comme son remplaçant, prit le commandement de l'escadrille.
Ces échecs inquiétèrent l'état-major de la division. La mission militaire française s'alarma elle aussi. Pouyade fut appelé à Moscou auprès de son chef, le général Petit, pour consultation. Tous deux se rendirent auprès du chef de la direction du secteur des importations des Forces aériennes, le major-général Levandovitch ,qui leur présenta ses condoléances pour les pertes subies. Pour expliquer la disparition de Tulasne, Pouyade dit ceci: "Ces derniers temps nous avons été terriblement malchanceux.De plus, quelques-uns de nos aviateurs ont été trop sûrs d'eux et excessivement intrépides". Selon toute vraisemblance, la raison principale tenait aux défauts de la tactique des pilotes de chasse français, qui mettaient l'accent sur la prouesse individuelle et reléguaient au second plan l'action concertée. Mais à côté d'insuffisances dans la conduite d'un engagement aérien, les Français montraient de grandes qualités. Ayant une grande expérience, en ce qui concerne le pilotage ils surclassaient manifestement le pilote de chasse moyen soviétique. Les Français ouvraient le feu à faible distance et frappaient à coup sûr, tandis que l'une des erreurs caractéristiques des pilotes soviétiques (comme le remarquaient constamment nos adversaires), consistait à ouvrir le feu prématurément. Il est indubitable que les chasseurs-bombardiers français contribuèrent à saigner les escadrons de la Luvtwaffe sur l'arc de Koursk, mais il est difficile de confirmer leurs victoires à l'aide des documents allemands. En effet cette vaste bataille aérienne a fait rage dès le matin jusque tard le soir pendant des jours et des jours, mettant aux prises des milliers d'avions de part et d'autre.
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Selon le témoignage de Pouyade, à la mi-juillet 1943 l'ambiance au sein de l'escadrille était particulièrement pesante: "Il nous restait 9 pilotes: Preziosi, Risso, Albert, Durand, Mathys, Bon, de Georges, Léon et moi. De la Poype était soigné pour un tympan crevé. Lefèvre était malade. Chacun de nous s'endormait à côté d'une couchette vide..." . En raison des pertes importantes, à la fin juillet l'escadrille fut provisoirement mise à l'écart, les pilotes mis au repos afin de rétablir le moral. Pendant les mois de juillet et août de nouveaux pilotes arrivèrent par petits groupes, si bien que le nombre total fut multiplié trois. Bientôt en accord avec la mission française l'escadrille fut transformée en Premier régiment détaché d'avions de chasse "Normandie". Cette réorganisation s'accompagna d'une reconversion des pilotes sur des avions Iak-9. Et en août les officiers de "Normandie" reçurent leurs premières distinctions soviétiques. A Duprat, Durand et Lefèvre fut remise la médaille de la Guerre patriotique de second degré. Tulasne et Litolff reçurent à titre posthume la médaille de la Guerre patriotique de premier degré.
Pendant les sept mois de 1943 37 pilotes prirent part à des actions de combat. Vers le mois de novembre leur nombre se réduisit à 14. 8 aviateurs périrent lors des combats,12 furent portés disparus, un autre fut capturé, et deux autres quittèrent le régiment pour raison de santé. Du premier groupe de volontaires restaient en vie Albert, de la Poype, Lefèvre, Risso et Béguin. Ceux-ci avaient connu de rudes épreuves et avaient l'expérience du front. Le bilan de cette première année 1943 était de 77 avions ennemis abattus.
Dans la seconde moitié du mois d'août le régiment des Français commença des sorties à partir de l'aérodrome de Spass-Demensk et prit part à l'opération de Smolensk. A la fin octobre 1943 la mission militaire française demanda au commandement soviétique de permettre au régiment de prendre ses quartiers d'hiver, ou, à tout le moins, de le transporter sur un autre secteur au sud. Les pilotes étaient effrayés par l'approche de l'hiver. Le 6 novembre leur souhait fut exaucé et le régiment se transporta à Toula.
En décembre arrivèrent de nouveaux pilotes, pour certains très expérimentés. Le régiment reçut de nouveaux avions, des Iak-9T. Les nouveaux, tout comme les vétérans, commencèrent de s'entraîner à la maitrise de ces appareils, ce qui n'alla pas sans incidents. Il y eut de la casse et des pannes qui faillirent tourner à la catastrophe. Eloigné du front, le commandant Pouyade relâcha un peu les rênes et la discipline faiblit. Soirées, danses, séances de cinéma créèrent du laisser-aller, les pilotes assez souvent "piquaient du nez" au terme d'une nuit débridée. Se rappelant cette époque, François de Geoffre dans son livre "Normandie-Niemen" écrivait: "Un mauvais sort s'acharnait sur nous; nous mettions à mal absolument tout, depuis de simples vis jusqu'aux trains d'atterrissage". Dans un premier temps, il n'y eut pas de victimes, mais le 18 mars ce fut la catastrophe: les avions de Jouarre et Bourdier se heurtèrent en vol, causant la mort des deux pilotes. Et ce ne fut pas tout. Les pilotes Hémonet et Shick démolirent trois avions en deux jours. Et le 21 avril le lieutenant Foucaud se tua en effectuant à faible vitesse un tonneau à basse altitude.
A la mi-mars un nouveau contingent de pilotes se présenta sous les ordres du capitaine Delfino. Il devait constituer l'ossature du second régiment de chasseurs, le "Paris", dont la création était prévue pour 1944. Toutefois, à cause du manque de pilotes, l'opération fut repoussée et les nouveaux arrivants intégrèrent le régiment "Normandie". Au 19 mai 1944 le régiment disposait au sein de quatre escadrilles ("Rouen", "Le Havre", "Cherbourg", "Caen") de 55 chasseurs Iak-9, de 61 pilotes français et de 249 spécialistes soviétiques dans le domaine de l'aéronautique. La majorité des pilotes suivit en totalité le stage de formation, réussit les épreuves de contrôle et fut jugée apte au combat. Le 25 mai le régiment transporta sa base à l'aérodrome de Doubrovka dans la région de Smolensk et de nouveau fut placé sous les ordres du général Zakharov.
Le retour du régiment sur le front fut assombri par la perte du commandant de la troisième escadrille, le capitaine Lefèvre, qui avait à son actif dix victoires. A cause du manque d'étanchéité d'une conduite d'essence dans la cabine de son avion, et alors que celui-ci était déjà au sol, un incendie se déclara, qui occasionna de graves brûlures auxquelles le pilote ne survécut pas. Et le 6 juin survint une nouvelle tragédie: un nouveau, l'aspirant Maurice Challe (c'était sa première sortie) abattit par erreur l'un des as du dix-huitième régiment de défense aérienne, le lieutenant-chef V.I.Arkhipov. Challe en fut bouleversé, attendit son rapatriement et même de passer en jugement, mais l'affaire fut étouffée. Vingt jours plus tard il se racheta en abattant d'un coup deux chasseurs allemands.
Pendant l'été de 1944 les combats au-dessus de la Biélorussie devinrent acharnés. Les aviateurs français eurent l'occasion de participer à l'une des plus importantes offensives de l'Armée rouge, l'opération "Bagration". Le 26 juin au tomber du jour le "Normandie" avec à sa tête le commandant du régiment déclencha une attaque massive sur l'important aérodrome allemand près de la ville de Borissov. Le commandement soviétique retint l'esprit de sacrifice des Français couvrant l'opération. Pendant la poussée des avant-gardes soviétiques en direction de Niémen, les bombardiers et les chasseurs allemands réussissaient souvent à frapper impunément en profitant de l'éloignement de nos aérodromes. Mais le 30 juillet ils se heurtèrent à une résistance farouche: dès la première attaque l'aspirant Challe abattit un "Junkers" faisant partie d'un groupe de neuf avions s'apprêtant à bombarder un passage à gué. Les Allemands ne furent pas en reste, qui par un feu concentré touchèrent l'appareil de l'aspirant Beyssade. Celui-ci perdit de la vitesse et disparut dans les nuages. Resté seul, Challe poursuivit son attaque et à son retour annonça qu'il avait anéanti trois "Junkers” dans le secteur de Souvalkov. L'Etat-major de la division 303 apprécia hautement les mérites de Challe et son savoir-faire: au terme de ce combat acharné on trouva sur le fuselage deux impacts. Cependant, n'ayant pas de confirmation, le commandement du "Normandie" n'homologua pas la victoire. Ce n'est qu'après la guerre, au retour de Beyssade qui avait été fait prisonnier, que l'on découvrit sur des documents saisis à l'ennemi, qu'un "Junkers" avait été effectivement détruit.
Un autre témoignage d'héroïsme et d'amitié franco-soviétique fut apporté par l'aviateur Maurice de Seynes. Le 15 mars 1944, victime d'une panne, il refusa de quitter son avion et de sauter en parachute, car à bord de l'appareil se trouvait son chef-mécanicien qui, lui, n'en avait pas. La tentative d'effectuer un atterrissage se solda par un échec, et, malgré les ordres, le pilote maintint son refus. Tous deux périrent. Ils furent inhumés conjointement dans le bourg de Doubrovka. Leur tombe devint le symbole de l'amitié indestructible entre les peuples français et soviétique. En 1953 les restes de M. de Seynes furent transférés à Paris à la demande de sa mère.
Les troupes du troisième front de Biélorussie maintenaient leur avance rapide en direction de l'ouest. Chaque jour apportait de nouvelles victoires, dans lesquelles la première armée aérienne prenait une part non négligeable. A l'anéantissement d'un régiment ennemi de 15 000 hommes succédèrent des combats acharnés pour percer la défense adverse sur le Niémen. Dans la seconde moitié du mois d'août 1944 les actions militaires furent peu importantes, et les aviateurs eurent assez souvent l'occasion de se reposer sous les ailes de leurs appareils, toujours prêts à décoller. Le 25 août 1944 Paris fut libéré et la division blindée du général Leclerc fit son entrée. Mais au préalable la ville avait été sauvée de la destruction grâce à l'insurrection de la Résistance. Alors que les aviateurs français laissaient, chacun à sa manière, libre cours à leur joie, les techniciens et mécaniciens soviétiques entonnèrent la Marseillaise. L'enthousiasme des aviateurs leur fit reprendre leur hymne national en russe.
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En septembre le régiment accomplit avec succès des missions de destruction d'objectifs terrestres sur les marches de la Prusse orientale. Echangeant en août 1944 les chasseurs Iak-9 contre de nouveaux appareils plus perfectionnés Iak-3, tenus pour être les meilleurs avions d'attaque de la seconde guerre mondiale, les aviateurs français firent des prouesses lors des combats. La journée la plus remarquable fut le 16 octobre: ce jour-là ils effectuèrent 100 sorties et sans la moindre perte mirent hors de combat 29 avions ennemis (16 chasseurs "Focke-Wulfs-190", 8 chasseurs "Messerschmitts-109" et 5 bombardiers "Junkers-87"). Intégré au troisième front biélorusse, le régiment "Normandie" se distingua particulièrement lors du forçage du Niémen par les troupes soviétiques. Le 28 novembre 1944 par décret du Généralissime I.Staline je nom de Niémen fut attribué au régiment "Normandie", qui, depuis ce jour, s'appelle "Normandie-Niemen". En douze jours les "Normands" avaient abattu 103 appareils ennemis.
Dans de nombreux ordres du jour du Généralissime touchant aux victoires de l'Armée rouge, le régiment "Normandie-Niemen" était mentionné de plus en plus souvent. Les aviateurs français à cette époque avait abandonné leur tactique de combat individuel pour adopter celle du combat en formation des Soviétiques. Le régiment comptait jusqu'à 70 hommes et était devenu une force redoutable. Comparées au nombre de victoires et à celui des avions abattus, les pertes étaient insignifiantes. Pour l'année 1944 celles-ci se montaient à 15 pilotes et 2O ""Iak", pour 122 appareils ennemis détruits.
A la fin de 1944 le lieutenant-colonel P.Pouyade, revenu en France, fut remplacé par un nouveau commandant, le commandant Louis Delfino. C'était un officier rigoureux, réfléchi et énergique qui resta en poste jusqu'à la victoire finale. Le commandant Pouyade avait à lui seul abattu 8 avions. Pour sa vaillance et ses succès il fut par deux fois décoré de l'ordre du Drapeau rouge, de l'ordre d'Alexandre Nevski, de médailles du combattant et reçut de nombreuses distinctions françaises.
Pour leur participation aux opérations de Prusse orientale et la prise de la ville de Pilawa, le Généralissime I.Staline exprima sa reconnaissance à l'ensemble des hommes du régiment "Normandie-Niemen". C'est à cette occasion qu'eut lieu la remise de décorations soviétiques aux 25 officiers de la branche militaire de la "France combattante". Parmi eux on peut citer Pierre Pouyade, Marcel Albert, les frères René et Maurice Challe, Roland de la Poype, Jacques André, Maurice de Seynes (à titre posthume). Au matin du 28 novembre la radio de Moscou annonça l'attribution du titre de Héros de l'Union soviétique à deux intrépides aviateurs, le lieutenant-colonel Marcel Albert et le commandant Roland de la Poype.
En décembre 1944 le chef du gouvernement provisoire de la République française, le général de Gaulle fut reçu à Moscou.A l'issue des pourparlers entre la France et l'URSS, un traité d'alliance et d'aide mutuelle fut signé. La visite du "Grand Charles" sur le théâtre des opérations, que beaucoup attendaient, n'eut pas lieu, et c'est la raison pour laquelle l'ensemble du régiment gagna Moscou par train spécial, où le commandant en chef de l'Armée de l'air, le maréchal A.A.Novikov, procéda à la remise des décorations. Les lieutenants Albert et de la Poype , qui avaient abattu respectivement 23 et 16 appareils ennemis, reçurent l'Etoile d'or de Héros de l'Union soviétique.
Par la suite (décret du Praesidium du Soviet suprême de l'URSS en date du 4 juin 1945), le titre de Héros de l'Union soviétique fut décerné à l'aspirant Jacques André (15 avions abattus) et au lieutenant Marcel Lefèvre (105 sorties, 11 avions), à titre posthume pour ce dernier. La D.C.A. allemande avait abattu son avion non loin de Vitebsk. Le réservoir d'essence avait pris feu, le pilote avait réussi à atterrir mais lui-même fut la proie des flammes. Les mécaniciens se précipitèrent pour étouffer le feu avec leurs blousons, ce à quoi ils parvinrent. Mais gravement brûlé, Lefèvre succomba le 5 juin 1944 à l'hôpital militaire de Moscou où il avait été transporté.
En tout, pour la période 1943-1945, le nombre d'avions abattus par le régiment "Normandie-Niemen" se monte à 268. Le régiment fut cité sept fois dans les ordres du jour du Généralissime, et se vit récompensé de l'ordre du Drapeau rouge, d'Alexandre Nevski, de la légion d'honneur, reçut la Croix de la Libération, la Croix de guerre à six palmes. A l'ambassade de France, le général de Gaulle remit personnellement à chacun ses décorations françaises. Tous les mécaniciens soviétiques reçurent la Croix de guerre. Sur le drapeau du régiment le général de Gaulle épingla la croix de la Libération. Après quoi le régiment "Normandie-Niemen" repartit au front pour finir de libérer la Prusse orientale.
En janvier 1945 le régiment effectua 454 sorties. Lors des combats les aviateurs abattirent 49 appareils et en endommagèrent 15 autres. Quatre aviateurs y laissèrent la vie: Roger Penverne, Robert Iribarne, Charles Revenchon et Pierre Bleton. Restèrent 24 aviateurs, qui furent versés dans deux escadrilles.
Prenant part directement à l'écrasement de troupes fascistes encerclées au sud de Koenigsberg, les aviateurs français effectuèrent les 25 et 26 mars 113 sorties. Couvrant les troupes soviétiques, ils abattirent 4 avions ennemis et en endommagèrent autant. L'aspirant Jacques André remporta à cette occasion sa quinzième victoire. L'aspirant Roger Sauvage en avait autant son actif, mais quelques-unes avaient été obtenues lors de combats en formation. L'aspirant Maurice Monge fut porté disparu.
Au cours des actions qui suivirent, les forces aériennes soviétiques se concentrèrent essentiellement sur l'anéantissement des troupes ennemies massées autour de Koenigsberg. Les succès de l'aviation soviétique, dans les rangs de laquelle en cette occasion se battait le régiment "Normandie-Niemen", permirent l'attaque fulgurante et couronnée de succès de la redoutable place-forte qu'était alors Koenigsberg. Le 25 avril la ville était libérée en totalité. L'aviateur Georges Henri fut tué lors de cette opération. Le 12 avril 1945 lors d'un engagement au-dessus de Pilawa il abattit un "Focke-Wulf-190", mais périt après l'atterrissage. Ce fut la deux-cent soixante-huitième et dernière victoire portée au crédit du régiment "Normandie-Niemen" sur le front russe. Du 12 janvier au 2 mai 1945 les Français effectuèrent plus de 1300 sorties. Ils abattirent 67 avions allemands, en endommagèrent 24, et eurent 9 tués: Maurice Challe, Pierre Génesse, Georges Henri, Robert Iribarne, Lionel Menu, Charles Miquel, Maurice Monge, Roger Penverne et Jean Piquenot.
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L'épopée guerrière des aviateurs du régiment aérien "Normandie-Niemen" qui avaient combattu côte à côte avec les pilotes russes était terminée. Pendant leur présence sur le front russe, du 22 mars 1943 au 9 mai 1945, le régiment avait effectué un parcours glorieux, des environs de Moscou jusqu'à la principale ville de Prusse orientale, Koenigsberg. Ses aviateurs avaient effectué plus de 5000 missions aériennes, avaient mené 869 combats, au cours desquels ils avaient abattu 268 appareils ennemis, et endommagé 80 autres. En outre, en attaquant des objectifs terrestres, ils avaient anéanti une part significative des forces vives et du matériel allemands. Au cours de l'ensemble de cette période ils avaient enregistré la perte de 42 des leurs.
A la mi-mai, avant de repartir pour Moscou, tous les pilotes français se réunirent sur le terrain d'aviation pour jeter un coup d'œil une dernière fois sur les "Iak" chers à leurs cœurs. Touchants furent ces moments d'adieu des Français à leurs machines volantes, qui leur avaient permis d'accéder à la victoire et à la gloire. Ainsi l'aspirant Jacques André s'agenouilla-t-il devant son Iak-3, et dit, s'adressant à lui comme à une personne: "Tu m'as sauvé la vie et m'as donné la possibilité d'accomplir des faits d'armes. Pour tout cela, merci à toi".
Dans les jours qui suivirent, le gouvernement soviétique décida de remettre à la France, en cadeau de la part de l'URSS, les appareils et l'armement dont les aviateurs français avaient su faire si bon usage. Outre la remise de 41 avions Iak-3, le Comité d'Etat de Défense de l'URSS prit la décision d'attribuer à l'ensemble de l'effectif ainsi qu'aux familles des disparus une compensation pécuniaire couvrant la période de leur présence sur le front. Aux environs de 6 heures du soir le régiment "Normandie-Niemen" à bord des Iak-3 acheva son voyage de retour d'URSS en France commencé six jours plus tôt en se posant à l'aéroport du Bourget à proximité de Paris.
En quoi consiste le rôle historique de l'escadrille "Normandie-Niemen"? D'abord, par une action commune avec l'aviation russe sur le front oriental pendant les années 1943-1945, elle apporta une contribution de poids à l'écrasement de l'Allemagne nazie aussi bien dans les airs que sur terre. Ensuite, les aviateurs français couvrirent de gloire non seulement leur propre régiment, mais aussi leur patrie, qui dans les dures conditions de l'Occupation et des difficiles pourparlers avec les Alliés trouva sa place parmi les puissances victorieuses et put s'enorgueillir de la vaillance et de l'héroïsme de ses fils. Enfin, la participation de l'escadrille "Normandie-Niemen" à la Grande Guerre patriotique rapprocha nos deux peuples, contribua à une meilleure compréhension mutuelle, à nous élever au-dessus de nos différends idéologiques au nom de la victoire commune sur un ennemi implacable. En témoigne le souvenir impérissable qu'ont gardé des équipages français de "Normandie-Niemen" et de leur héroïsme les citoyens soviétiques.
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